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Astrid Bachoux – Septembre 2022

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COUVERTURE COZE

Chaque mois, Coze invite un artiste local à réaliser la couverture du magazine. Dans le cadre des Hopl’Awards, le public est amené à voter pour sa couv’ favorite.

La couverture du numéro de septembre 2022 a été réalisée par Astrid Bachoux.

PEUX-TU TE PRÉSENTER ?

Moi c’est Astrid, j’ai 32 ans. Quand on me pose cette question il y a toujours un blanc avant que j’invente quelque chose de différent ! Je suis artiste mais je change tout le temps d’activité. En ce moment par exemple, je dirais que je vends des bières ! Mais sur ces deux dernières années, j’ai plutôt évolué dans le milieu social et médico-social, c’était très riche mais aussi assez dur. Là, je viens de reprendre un boulot de serveuse pour un peu plus de légèreté, dans un lieu dans lequel se dessinent différents axes qui m’intéressent: la SCIC Phare Citadelle. Mon travail se décline sous différents mediums, ça va du dessin au textile en passant par le documentaire, pour moi c’est indissociable de mes autres activités salariées autour desquelles gravitent toujours les mêmes questions : pour qui et pourquoi je travaille, à quoi et à qui sert l’activité qui est la mienne à un moment donné. J’aime bien l’idée de mettre un artiste là où on ne l’attend pas à priori. Il me semble qu’il apporte un regard un peu différent, qu’il propose un nouveau régime de sensibilité, et je crois qu’on en a besoin bien au-delà des milieux artistiques et culturels.

QUEL A ÉTÉ TON PARCOURS ?

J’ai grandi dans une famille nombreuse, dans une petite ville bourgeoise de province assez conservatrice. L’art ne faisait pas vraiment partie des sujets qui existaient autour de moi, en tout cas on n’en faisait certainement pas un métier. Mais bon, j’étais plutôt têtue et je ne suis pas sure qu’on m’aurait acceptée ailleurs qu’en école d’art, ça tom- bait bien. Après un bac économique et social j’ai fait un saut à la fac d’arts plastiques à Rennes. Ensuite, je suis allée à Paris où j’ai fait une prépa publique, l’ EPSAA qui a fini par m’amener à Strasbourg. J’ai eu la chance de rentrer aux arts déco, j’y suis restée 6 ans, c’était trop bien. Après mon diplôme j’ai pris des distances avec le monde de l’art.

J’avais besoin de découvrir d’autres choses, de rencontrer d’autres types d’humains. Je n’ai jamais été attirée par les galeries, les centres d’arts. J’ai plutôt eu l’intuition que je devais aller là où l’art est moins figé, et peut-être là où l’on n’appelle même pas l’art « l’art ». La vie en fait. Je dirais alors que je me suis baladée, dans différentes formes de salariat, de travail rémunéré ou non, déclaré ou non, dans des lieux très différents, d’institutions très conventionnelles à des tentatives plus horizontales qui éclatent pas mal de cases. Ne jamais rester trop longtemps, quelques mois tout au plus, mais suffisamment pour en comprendre les enjeux et faire de vraies rencontres : ça permet de ne pas se laisser engloutir et de garder l’œil vif. C’est un travail d’enquête en quelque sorte. Parfois je filme, parfois j’écris. Parfois ça donne un documentaire, un dessin, un texte ou juste des souvenirs.

J’ai quitté l’art et Strasbourg pendant deux ans. Et puis, le covid est arrivé, à ce moment-là je travaillais dans la restauration, je me suis retrouvée sans revenus. J’ai décidé de revenir à Strasbourg, c’est la ville où je me sens le mieux et où vivent mes amis. J’y ai suivi un post diplôme à la HEAR, le CFPI, une formation pour artiste intervenant, qui apporte justement un regard critique sur l’activité des artistes, des institutions qui les accueillent, des personnes avec qui ils travaillent et des effets qu’ils ont les uns sur les autres.

PEUX-TU NOUS PARLER DE TON UNIVERS ?

Concernant mon travail plastique, il se décompose en différentes pratiques. Il y a le dessin qui est vraiment ma pratique de fond, mais il peut prendre plein de formes comme je l’expliquais juste avant. Je ne hiérarchise pas tellement ces différentes formes. J’ai par exemple cocréé une marque de vêtements avec une ONG franco-sénégalaise il y a quelques années, pour moi ça fait partie de mon travail «d’artiste» au même titre que quand je fais un dessin, un film ou que je travaille avec des personnes en situation de handicap.

Pour revenir sur mon approche du dessin, je travaille uniquement au crayon, j’aime cette idée d’économie de moyen : juste du papier et un crayon. C’est aussi un certain rapport au temps, se mettre à l’épreuve de la durée, cultiver la lenteur. Il m’arrive de dessiner sur de très grands formats, on parle de centaines d’heures, des mois parfois. Et puis pour rajouter un peu de poésie, et me mettre des bâtons dans les roues, je peux dessiner sur du papier si fin qu’il finit par s’autodétruire si vite que c’est invendable. C’est un peu un pied de nez au monde de l’art et de la conservation, mais je crois que c’est avant tout une histoire de mémoire.

C’est un sujet qui me passionne depuis toujours, qu’elle soit individuelle ou collective. Ce besoin de tout garder, figer, restaurer à tout prix. Trop de conservateurs, trop de musées. Autant de tombes. Il faut redevenir un peu plus humbles par rapport à ce qu’on produit. Je crois que nous avons besoin d’oubli. Je ne dissocie pas mon univers de la méthode et du support avec lesquels je travaille. Tout est lié : le format, le support, le sujet. La narration y est volontairement floue, les mondes y sont inachevés, en mutation, comme s’il n’y avait ni temps, ni lieux arrêtés. Quand on parcourt mes dessins, on se rend compte qu’il peut y avoir une perspective un peu fausse ou des liens pas vraiment logiques. Pour moi ça permet des glissements, ça permet de penser l’espace comme une matière fragmentable qui se démultiplie comme les strates de la pensée. C’est une manière de donner forme à la construction mnésique. J’utilise des images qui résonnent dans l’imaginaire collectif mais dans lesquelles j’essaye d’introduire le trouble. Ça peut être inspiré de mes rêves dans lesquels il y a beaucoup d’eau, de vagues, de mondes qui s’écroulent. J’aime aussi assez l’idée qu’on ne sache pas exactement ce que mes dessins racontent, qu’on s’arrête dessus et que l’œil s’accroche à quelque chose : l’élan narratif est contrarié. On me demande souvent ce que veut dire tel ou tel dessin. Je ne réponds jamais à ces questions. Je ne veux pas vraiment expliquer, je préfère questionner. S’il y a besoin d’expliquer, c’est que c’est raté ! Ce qui compte finalement, c’est que ça touche les gens, que ça leur parle, qu’ils y voient quelque chose, que ce soit ce que j’ai voulu y mettre ou non.

COMMENT TU TRAVAILLES ?

En ce qui concerne l’aspect uniquement technique, je fixe une feuille grand format sur une planche au sol. J’ai un rap- port assez charnel au dessin, je travaille allongée dessus pendant des heures et des heures. Une fois que je m’y mets c’est de manière assez intense et je ne fais que ça pendant plusieurs jours. Je me lève, je dessine, je me couche, je me relève et je dessine, il n’y a que ça. C’est assez proche de la méditation. Je fini couverte de crayon, je dois sans doute ressembler à une folle dans ces moments-là! J’ai une relation amour/rejet avec ma pratique. C’est intense et épuisant et en même temps j’ai en besoin.

UNE EXPOSITION QUI T’A MARQUÉE ?

Il y en a une qui m’a profondément marquée. Je pense qu’il s’agit de l’une des premières expos que j’ai faites, j’avais 14 ou 15 ans et la sœur d’une amie faisait un stage à la Fondation Cartier. Elle nous avait eu des places et l’on ne savait pas vraiment où l’on mettait les pieds. J’avais bu un ou deux verres de trop et je me suis retrouvée là en jean-baskets au milieu de gens super sapés avec des photographes partout sans savoir où j’étais ni ce que j’allais voir. Je n’y connais- sais rien. Il s’avère qu’il s’agissait du vernissage d’une expo de David Lynch, j’ai pris une véritable claque. C’était une expérience hyper forte pour moi.

QUEL EST LE PROJET QUE TU AS PU RÉALISER QUE TU PRÉFÈRES ?

Tous ! Je me donne vraiment à fond dans chacun de mes projets, j’y mets des histoires fortes pour moi et j’ai d’ail- leurs souvent du mal à les revoir des années plus tard. Mais si je dois en citer un je dirais qu’il s’agit d’un de mes grands dessins qui s’appelle Incendie parce qu’il a une histoire vraiment particulière. C’est le dessin pour mon diplôme, et comme d’habitude je travaillais chez moi au sol. Le travail était en cours et en pleine nuit l’immeuble voisin a pris feu. Je n’étais pas là et mes fenêtres étaient restées ouvertes.

Les pompiers sont entrés chez moi par précaution et quand je suis rentrée tout était grand ouvert, le dessin était tou- jours au sol mais complètement piétiné et couvert de suie. Je n’ai pas pu revenir chez moi tout de suite à cause des matières toxiques présentes dans la suie. J’ai été relogée à l’hôtel et je n’avais pas pu prendre mes affaires, à part mon appareil photo, c’est d’ailleurs à ce moment-là que j’ai commencé les films. J’ai finalement laissé ce dessin de côté pendant deux ans puis je l’ai ressorti. Il devait être très grand au départ, je l’ai retaillé, il a de la suie partout. Je l’ai détesté au départ et finalement je l’ai aimé à nouveau et aujourd’hui je crois qu’il est mieux que sa version initiale !

OÙ PEUT-ON TROUVER TON TRAVAIL ?

Sur mon site, sur instagram, et j’ai aussi un bigcartel sur lequel je propose des reprographies à la vente !



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